Art et angoisse

Joost Demuynck

 

La « reproduction interdite » est une peinture de Magritte qui date de 1937. Il s’agit du banquier britannique Edward James. Le spectateur voit l’image d’un homme de dos, image redoublée dans le miroir. Cette peinture présente quelque chose d’Unheimlich. Pour Magritte, le mystère d’un portrait est beaucoup plus important que le modèle ou sa ressemblance [1]. Ici, quelque chose reste caché. Mais il y a un autre objet : un livre sur la cheminée. Il s’agit d’un livre d’Edgar Allan Poe, The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, un récit de voyage fictif qui s’inspire de nombreux explorateurs. L’Unheimlich ici est lié au fait que le titre est en miroir, mais pas la personne. 

Freud, Lacan et Jacques-Alain Miller ont parlé de l’Unheimlich et de l’angoisse dans le champ scopique. 

Freud cherche le noyau de l’angoisse dans l’Unheimlich. Il se base, entre autres, sur le récit de L’Homme au sable d’E.T.A. Hoffmann. L’homme au sable jette du sable sur les yeux des enfants, de sorte que les yeux sortent de leurs orbites. Coppelius est le marchand de sable. Son nom, « Coppo », fait référence à l’orbite. Dans son article, Freud fait également référence à Schelling : « On qualifie de un-heimlich tout ce qui devrait rester …dans le secret, dans l’ombre, et qui en est sorti [2] ». 

Lacan revient au stade du miroir dans son séminaire sur l’angoisse [3]. Il affirme que l’image est fondamentale dans la relation imaginaire. Mais il y a une limite : tout ne se reflète pas dans le miroir, il y a un reste. L’angoisse surgit lorsque ce reste apparaît là où il devrait y avoir un manque.

Jacques-Alain Miller prolonge cette observation de Lacan. L’objet a ne peut pas être reflété dans le miroir. Il y a un reste qui n’entre pas dans l’imaginaire. Le prestige de l’image dans le miroir dépend de ce reste qui n’est pas reflété. Si cela se produit, il y a un effet d’Unheimlich, car l’objet étrange et effrayant apparaît là où il y a normalement un manque. Cette apparition est effrayante parce qu’elle se manifeste de façon étrange, et viole les lois de la perception [4].

Que l’angoisse ne soit pas sans objet signifie que l’objet est d’une autre nature. Miller donne comme exemple le Horla de Maupassant. En effet, l’auteur, tandis qu’il se voit de dos, raconte précisément sa propre expérience angoissante de dépersonnalisation.



Références

[1] Meuris J., René Magritte, Cologne, Taschen, 1990, p. 94.

[2] Freud S., « L’inquiétante étrangeté », L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 221.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004.

[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, III, 6 », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 16 juin 2004, inédit.