L’objet de la pulsion

Jean Luc Monnier

 

L’objet de la pulsion dans son rapport au corps est traité dans le Séminaire XI. Mais, dès le Stade du miroir, il est là, sous la forme de l’objet petit (a) – jouissance incluse dans l’image, dit Jacques-Alain Miller [1]. Son statut évoluera au fil de l’enseignement de Lacan. Dans le transfert, Lacan le promeut sur le versant imaginaire d’objet du désir, d’agalma de l’objet partiel. Puis dans l’angoisse, d’objet du désir, il devient objet cause du désir. Là, il passe en arrière du désir, il n’est plus l’objet à atteindre. 

Lacan lui donne ce nom d’objet a, non pas pour désigner un objet qui serait l’aboutissement de la maturité sexuelle mais, au contraire, pour nommer les objets partiels « attachés » aux différentes zones érogènes du corps. Ils ne font pas consistance, sinon consistance de manque, voire de vide, dans la mesure où ils ne s’éprouvent que coextensivement à la castration. Cette formule en rend compte : /- φ. Lorsque ce n’est pas le cas, lorsqu’ils sont dans « la poche du sujet », non séparés par l’opération symbolique, le sujet lui-même tend à s’y réduire. Cela prend la plupart du temps la tournure du déchet qui tend à emporter sa réalité tout entière. Lacan pose en effet que « le champ de la réalité […] ne se soutient que de l’extraction de l’objet a qui pourtant lui donne son cadre. [2] » Lacan ne reviendra pas sur cette thèse. Dans sa « Proposition du 9 octobre 67 sur le psychanalyste de l'École », il avancera : « le non-su s’ordonne comme le cadre du savoir [3]». L’objet a doit condenser la libido en un point extime pour que la réalité du sujet, nettoyée de jouissance, puisse être stabilisée [4].

Ce statut d’extimité de l’objet a fait dire à Lacan qu’il est un incorporel : « Rendons justice aux stoïciens d’avoir su de ce terme : l’incorporel, signer en quoi le symbolique tient au corps. [5]» Éric Laurent, dans L’Envers de la biopolitique, précise : « c’est que la rencontre du corps du symbolique avec la chair dégage l’objet a comme incorporel, comme effet hors-corps, comme “jouis-sens” [6] ».

Aborder l’objet a à partir de cette qualité permet de saisir en quoi l’objet a est à la fois « du corps », mais que ce corps n’est corps que par l’opération d’incorporation du symbolique.

Il y a les corps, les corps qui existent. Puis, il y a ce qui n’est pas du corps mais s’y réfère, comme le temps, le vide, le dicible et le lieu [7], qui sont des effets du signifiant sur le corps en tant que ce corps devient corps symbolique.

Ce sont des objets hors corps, amarrés aux bords des zones érogènes du corps. À partir du séminaire xi, Lacan tente de faire de l’objet a un objet réel. Pas tout à fait cependant, car dans le fantasme, par exemple, l’objet a a un versant imaginaire et un versant réel en tant qu’il est l’écho de la jouissance prise dans les rets du principe de plaisir.

Il jettera l’éponge avec cette fameuse phrase que l’on trouve dans le Séminaire xx : « De l’autre côté, le a. Lui, d’être dans la bonne voie somme toute, il nous ferait le prendre pour être, au nom de ceci qu’il est apparemment bien quelque chose. Mais il ne se résout en fin de compte que de son échec, que de ne pouvoir se soutenir dans l’abord au réel. [8] » faisant du petit a un semblant, c’est-à-dire en le situant sur l’axe qui va du symbolique au réel.

L’objet a, réel ou semblant, est un des pivots de notre clinique. Dans la cure, il donne à saisir son insertion dans le fantasme ou son retour dans le réel, et son éventuel traitement.


Références

[1] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 9 mars 2011, inédit.

[2] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 554.

[3] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 249.

[4] Cf. Miller J.-A., « Vers un signifiant nouveau », Revue de l’École de la Cause freudienne, Paris, Publication de l’École de la Cause freudienne, février 1992, p. 37-44.

[5] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 409.

[6] Laurent É., L’Envers de la biopolitique, Paris, Navarin, 2016, p. 34. La théorie des incorporels a été développée par les stoïciens, reprise et réexaminée par Gilles Deleuze dans son ouvrage La logique du sens, Paris, Les Éditions de Minuit, 1969.

[7] Cf. Laurent É., L’Envers de la biopolitique, « Topologie de l’être qui parle », op. cit., p. 31.

[8] Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 87.


object, objetEva Van Rumst