Crise de l’autorité et malaise dans la civilisation

Frank Rollier

 

Les nouveaux modes du lien social et le discrédit qui frappe toute autorité contribuent au malaise contemporain. Un père qui fonctionne en tant que Nom-du-Père, capable de porter à la fois l’interdit et le désir, fait souvent défaut. Cette absence d’autorité authentique s’avère mortifère, laissant l’adolescent sans boussole, livré à l’imaginaire et à l’expression immédiate des pulsions. Jacques-Alain Miller note que « nous sommes en phase de sortie de l’âge du père [1] » qui fait place à la transgression des règles.

Cette carence symbolique est entretenue par le discours capitaliste, qualifié par Lacan de « follement astucieux [2] », qui dicte ses impératifs de jouissance et de réussite sociale. Les objets plus-de-jouir paraissent plus sûrs que les aléas du désir et ils font « partie intégrante du malaise dans notre civilisation [3] » écrit Daniel Roy.

Sur fond d’addiction généralisée, l’angoisse surgit lorsque le sujet, qui ne veut rien savoir du manque, est confronté au désir de l’Autre ou « quand le manque vient à manquer […] quand il y a trop d’objets [4] ». Sur internet où règne le trop-plein et la tyrannie de la pulsion scopique, ce sont les impératifs de bien-être qui font autorité, relayés par les influenceurs et la voix du surmoi.

L’autorité exprime l’interdit, le pouvoir de se faire obéir, l’autoritarisme ; mais ce signifiant biface dit aussi ce qui autorise [5]. Pour Alexandre Kojève, « exercer une autorité et user de la force s’excluent mutuellement. Pour l’exercer, « il ne faut rien faire [6] ».

J.-A. Miller mentionne l’autorité en évoquant la fonction de l’oracle de Delphes, notant que la psychanalyse « a su faire revivre la parole des oracles à l’âge de la science [7] ». L’autorité ne relève pas d’une action ou d’explications mais d’une présence et d’un dire, d’un « c’est ainsi » qui suppose « de ramener le langage vers les jeux possibles dans la langue » dont « le modèle est le Witz [8]».

Sous transfert, le patient peut se faire auteur d’un dire qui apaise son angoisse, limite sa jouissance et fait autorité pour lui.

C’est le désir de l’analyste visant la singularité de chaque sujet qui permet à son interprétation de faire autorité. L’autorité ne s’affirme pas par la norme mais par le désir.           


References

[1] Miller J.-A. in Lacan J., Le Séminaire, livre vi, Le désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière / Le Champ freudien, 2013, 4ème de couverture.

[2] Lacan J., « Discours de J. Lacan à l’Université́ de Milan le 12 mai 1972 », in Lacan in Italia, Milan, La Salamandra, 1978, p. 32-55.

[3] Roy D., « Malaise et angoisse dans la clinique et dans la civilisation. Une introduction au Congrès NLS 2023 », Blog du Congrès NLS 2023, publication en ligne (https://nlscongress2023.amp-nls.org/nls-congres/2019/1/4/argument-1-5mr52-ewgke).

[4] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du séminaire L’angoisse de J. Lacan », La Cause freudienne N° 59, Paris, p. 79.

[5] Cf. Laurent E., « Quelles autorités pour quelles punitions » ? Élucidation N°2, in Élucidation N° 0 à 7, Verdier, Paris, 2003, p. 26.

[6] Kojève A., La notion de l’autorité, Gallimard, Paris, 2004, p. 61.

[7] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 13 novembre 2002, inédit.

[8] Cf. Ibid.