L’angoisse, un affect nécessaire

Dossia Avdelidi

Dans le Séminaire xvii, Lacan donne à l’angoisse une place tout à fait essentielle. Il la considère comme un affect fondamental. C’est « l’affect central, dit-il, celui autour de quoi tout s’ordonne [1] ». Dans le Séminaire x, il se demandait pourquoi nous voulions « tellement préserver la dimension de l’angoisse ? Il doit bien y avoir une raison à cela [2] ».

Partons de l’assertion lacanienne selon laquelle l’angoisse est une voie d’accès au réel, à ce qui ne se résorbe pas par le signifiant. Pour saisir l’angoisse sous cet aspect, il nous faut la dissocier du malaise et la traiter comme un affect nécessaire à la constitution du sujet. Il s’agit dès lors de l’aborder, non comme un trouble à éradiquer, mais comme une fonction. Déplions quelque peu cette fonction au fil de quelques Séminaires.

Dans le Séminaire x, Lacan situe l’angoisse entre désir et jouissance : l’angoisse est un « terme intermédiaire entre la jouissance et le désir, en tant que c’est franchie l’angoisse, fondé sur le temps de l’angoisse, que le désir se constitue [3] ». L’angoisse précède donc le désir, elle lui est logiquement antérieure, elle apparaît avant le désir. Elle est même essentielle à son apparition. Lacan dit encore, dans ce même Séminaire, que « le temps de l’angoisse n’est pas absent de la constitution du désir, même si ce temps est élidé, non repérable dans le concret [4] ».

Dans le Séminaire xi, Lacan élabore la constitution du désir, à partir des mécanismes de la causation du sujet : l’aliénation et la séparation. L’angoisse constitue dès lors un moment logiquement nécessaire pour la constitution du sujet. Donc, sans angoisse, pas de sujet.

Enfin, dans l’unique séance du Séminaire Des Noms-du-Père, qui suit le Séminaire x, Lacan dit que « l’objet a est ce qui est chu du sujet dans l’angoisse [5] ». L’objet petit a comme soutien du désir ne peut pas se situer dans le champ de l’Autre sans l’angoisse. S’il n’y a pas d’angoisse, il n’y a pas production de l’objet a.

L’angoisse lacanienne n’est donc pas à considérer comme un trouble, il ne s’agit pas de la traiter, mais de lui donner sa place. Pour le saisir, il suffit, de revenir à ce que Freud disait dans Inhibition, symptôme et angoisse [6] : l’angoisse est moteur du refoulement. Sans angoisse, pas de refoulement. Et ce qui induit le refoulement, disait-il, c’est l’angoisse de castration.

Lacan, nous dit Jacques-Alain Miller, traduit le moteur de refoulement en tant que cause du désir. Le désir est toujours désir refoulé, c’est un désir qui ne connaît pas l’objet qui le cause [7]. Et il ajoute que « seule l’angoisse transforme la jouissance en objet cause du désir [8] ». L’angoisse lacanienne est donc une angoisse productive puisqu’elle produit l’objet-cause.

Et l’angoisse produit cet objet cause, l’objet a, comme objet perdu. « C’est pourquoi on ne peut le désigner comme objet de l’angoisse, qu’en passant par la négation : “elle n’est pas sans objet”. Ce qu’il faut bien voir, c’est qu’il n’y a pas l’objet et puis sa perte, mais que l’objet a se constitue comme tel dans sa perte même. [9] » Sans objet perdu, pas de désir, précise J.-A. Miller.


Références

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil,1991, p. 168.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 49.

[3] Ibid., p. 204-205.

[4] Ibid., p. 204.

[5] Lacan J., « Introduction aux Noms-du-Père », Des Noms-du-Père, Paris, Seuil, 2005, p. 71.

[6] CF. Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1981.

[7] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du Séminaire L’angoisse », La Cause freudienne, no 59, janvier 2005, p. 67-103.

[8] Ibid., p. 76.

[9] Miller J.-A., « Angoisse constituée, angoisse constituante », Intervention aux journées de l’ecf pour présenter le Congrès de l'amp en 2006, disponible sur internet. https://www.lacan.com/jamsem2.htm