Où la guerre commence-t-elle ?

Gleb Napreenko

Posons cette question générale, répétée quant à l’Ukraine : Où commence la guerre ?

Ni une déclaration de guerre, ni un acte de violence ne peut servir de définition universelle.

Il y a des guerres qui n’ont fait aucune victime, qui se sont déroulées sur le plan des déclarations diplomatiques et des menaces : la Guerre de 335 Ans, par exemple. Il y a des guerres qui ont fait de nombreuses victimes, mais qui n’ont pas été reconnues par l’État qui les a conduites : la guerre d’Algérie, que l’Assemblée nationale de France n’a reconnue comme guerre qu’en 1999. Il y a la guerre en Ukraine : la Russie a rendu punissable l’utilisation du mot guerre, et lui a substitué cette dénomination officielle : opération militaire spéciale. En outre, il existe des courants de pensée qui posent que la guerre ne s’arrête jamais : la guerre de classes ou la « guerre » des sexes. Les métaphores de guerre dans notre langage ne sont-elles que des métaphores ?

Mais lorsqu’une guerre particulière se produit, la question se pose : « Où tout cela a-t-il commencé ? ».

L’attentat de Sarajevo est devenu symbolique car il semble être le point assourdissant du début de la Première Guerre mondiale, essayant de prendre le poids de la question d’origine.

Cette question est nécessaire pour donner sens à la guerre actuelle, et pour savoir comment elle pourrait se terminer. La fameuse contre-question que la propagande russe adresse à ceux qui ne sont pas d’accord avec l’agression actuelle – « Où étiez-vous pendant 8 ans ? » – est une tentative pour colmater cette problématique. Elle lui procure une version « évidente » de l’Histoire. Mais que s’est-il passé exactement il y a 8 ans ? L’apparition non déclarée des armées russes en Crimée ? Le premier meurtre dans le conflit naissant – le meurtre du député Vladimir Rybak ?

Qu’est-ce qui a commencé le 24 février 2022 ?

Cette question insistante sur l’origine, où toutes les versions s’avèrent fictives, indique qu’il y a du Réel dans la guerre – du Réel hors sens. Il est impossible de ne pas lire une guerre particulière comme un symptôme de la situation sociale dont elle est issue.

La guerre est le point où le discours touche au Réel – et ce point concerne la question de la vie et de la mort. La guerre implique la possibilité de l’acte de tuer. Elle devient un enjeu du discours qui n’est pas du tout métaphorique : c’est un élément nécessaire à la justification de l’idée d’une guerre. La guerre révèle qu’il y a déjà quelque chose dans le discours qui est capable d’exiger votre volonté à tuer ou à être tué, même si ce n’était pas explicite auparavant. La mobilisation dévoile que tous les citoyens sont des soldats potentiels, même s’ils ne le savent pas : cette découverte est angoissante.

La guerre déclenche une production de semblants – mais, tout aussi bien, la chute de ces semblants – qui soutiennent le discours : les semblants sont poussés à leur limite pour tenter de saisir le Réel. C’est le mystère de l’origine.


war, guerreEva Van Rumst