« Ruptures » – crise existentielle / crise écologique.
Fouzia Taouzari
Ruptures [1], réalisé en 2021 par Arthur Gosset [2], aborde « la pathologie des sociétés civilisées [3] » par des jeunes issus de grandes écoles en crise existentielle face à la crise écologique. Une crise d’adulescence – celle du passage de l’adolescence à la vie adulte – qui se manifeste par une rupture avec la transmission familiale d’une voie toute tracée. Six témoignages poignants structurent le film où « chaque rupture s’exprime de manière unique », note le réalisateur.
Contingence
En 2017, Arthur Gosset intègre Centrale Nantes dans un moment de crise existentielle. Lors de la remise des diplômes en 2018, il assiste au discours poignant de Clément Choisne [4]. Ce dernier, ingénieur fraichement diplômé, témoigne de la perte de sens qu’il traverse face à la promesse d’une vie toute tracée de cadre supérieur, dans un système capitaliste de surconsommation où il ne s’y retrouve pas. En septembre 2018, 35000 étudiants de grandes écoles signent un Manifeste pour un réveil écologique [5] où ils se disent prêts à boycotter les entreprises qui nient le réel écologique. « Le job de rêve, la voiture de fonction et le gros salaire, nous n’en voulons plus », dit en voix off Arthur Gosset.
Donner sens à son existence
Durant un an, il donne la parole à six jeunes : Aurélie, 26 ans, diplômée de Polytechnique, crée le premier village de Tiny houses après avoir démissionné. Maxime, 24 ans, diplômé de Science Po, organise des marches sur le climat. Hélène, 25 ans, diplômée d’une école de commerce, s’oriente dans la santé pour donner du sens à sa vie. Emma et Romain, 23 ans, étudiants en école d’ingénieur, agissent pour faire évoluer les enseignements. Et Melvin, 20 ans, a refusé de rentrer dans une grande école. Il se forme à l’écoconstruction pour devenir maraîcher.
Leçon de désir face à l’angoisse de la vie
Chaque-Un témoigne de l’insistance du désir face à la catastrophe climatique. Ils disent non au pousse-à-jouir du discours capitaliste, dans une volonté d’un retour au pragmatisme et à la mesure. Ce « trop », qui étouffe et tue à petit feu aussi bien la planète qu’eux-mêmes, angoisse. Face à la chute des traditions qui jadis donnaient sens à l’existence, certes de manière insatisfaisante, le discours capitaliste-consumériste et son offre de jouissance illimitée fait place à un grand Autre inconsistant et hors-sens, qui déboussole plus qu’il n’oriente. Ce film témoigne « du combat de l’espèce humaine pour la vie » dans une lutte « entre l’instinct de vie et l’instinct de destruction [6] ». Il rejoint à ce titre l’éthique de la psychanalyse lacanienne où chaque protagoniste sort de l’angoisse par l’acte, c’est-à-dire par le désir. Il enseigne combien le un par un est précieux pour donner corps à ce trouble anonyme d’éco-anxiété. C’est une invitation à le lire à l’aune de la clinique freudienne : Éco-inhibition, éco-symptôme, éco-angoisse.
Références
[1] Le film est accessible sur la plateforme SPICEE.
[2] Prix « coup de cœur du jury » du Festival international du Film Écologique et Social à Cannes en 2021.
[3] FREUD S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, p.106.
[4] https://www.youtube.com/watch?v=3LvTgiWSAAE
[5] https://manifeste.pour-un-reveil-ecologique.org/fr
[6] FREUD S., Malaise dans la civilisation, op. cit., p.78. « Désormais la signification de l’évolution cesse à mon avis d’être obscure : elle doit nous montrer la lutte entre l’Éros et la mort, entre l’instinct de vie et l’instinct de destruction, telle qu’elle se déroule dans l’espèce humaine. Cette lutte est, somme toute, le contenu essentiel de la vie. »